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cept, en sorte que le jugement porté sur l’objet est un jugement esthétique et logique à la fois. Les beaux-arts ont cet avantage qu’ils rendent belles des choses qui dans la nature seraient odieuses ou déplaisantes[1]. Les fièvres, les maladies, les ravages de la guerre et tous les fléaux de ce genre peuvent être décrits ou même représentés par la peinture et devenir ainsi des beautés. Il n’y a qu’une espèce de choses odieuses qu’on ne peut représenter d’après la nature, sans détruire toute satisfaction esthétique et par conséquent la beauté artistique ; ce sont celles qui excitent le dégoût. En effet, comme dans cette singulière sensation, qui ne repose que sur l’imagination, nous repoussons avec force un objet qui pourtant s’offre à nous comme un objet déplaisir, nous ne distinguons plus dans notre sensation la représentation artistique de l’objet de la nature, de cet objet même, et alors il nous est impossible de trouver belle cette représentation. Aussi la sculpture, où l’art semble presque se confondre avec la nature, s’est-elle interdit la représentation immédiate des objets odieux, et ne permet-elle par exemple de représenter la mort (dont elle fait un beau génie),

  1. C’est la pensée exprimée par BOILEAU, dans ces vers si connus de l'Art poétique :
    Il n’est point de serpent ni de monstre odieux
    Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux :
    D’un pinceau délicat l’artifice agréable
    Du plus affreux objet fait un objet aimable.
    J. B.