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que qu’on s’est trompé et que ce qui l’excitait n’était que de l’art, à tel point que le goût n’y peut plus rien trouver de beau ni la vue rien d’attrayant. Il n’y a rien que les poètes aient plus vanté, aient trouvé plus enchanteur que le chant d’un rossignol qui se fait entendre dans un bocage solitaire, pendant le calme d’une soirée d’été, à la douce clarté de la lune. Cependant, si quelque plaisant, pour amuser ses convives, les conduit, sous prétexte de leur faire respirer l’air des champs, près d’un bosquet où il n’y a pas de chanteur de cette espèce, mais où il a fait cacher un enfant malin qui sait parfaitement imiter le chant de cet oiseau (avec un roseau ou un jonc), aussitôt qu’on s’apercevra de la ruse, personne ne pourra plus écouter ce chant qu’on regardait un instant auparavant comme si ravissant, et il en est de même du chant de tous les autres oiseaux. Il n’y a que la nature, ou ce que nous prenons pour la nature, qui puisse nous faire attacher au beau un intérêt immédiat ; et cela est vrai à plus forte raison quand nous voulons exiger des autres cet intérêt, comme il arrive en effet lorsque nous tenons pour grossiers et sans élévation ces hommes qui n’ont pas le sentiment de la belle nature (car nous nommons ainsi la capacité qui nous fait trouver un intérêt dans la contemplation de la nature), et qui à table ne songent qu’à la jouissance des sens.