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la société ; et si on regarde comme naturel à l’homme le penchant à la société, et la sociabilité comme une qualité nécessaire aux besoins de l’homme, créature destinée à la vie de société, et par conséquent comme une qualité inhérente à l’humanité, alors il est impossible de ne pas considérer le goût comme une faculté de juger des choses sur lesquelles on peut voir son sentiment partagé par tous les autres, et par conséquent comme un moyen de satisfaire l’inclination naturelle de chacun.

Un homme relégué dans une île déserte ne songerait pas à orner sa cabane ou à se parer lui-même ; il ne s’aviserait pas de chercher des fleurs, encore moins d’en planter pour cela ; ce n’est qu’en société qu’il lui vient à l’esprit qu’il n’est pas seulement un homme, mais un homme distingué dans son espèce (ce qui est le commencement de la civilisation). Car c’est ainsi qu’on juge celui qui se montre enclin et apte à communiquer son plaisir à d’autres et qui ne reçoit pas de contentement d’un objet, s’il est seul à le sentir. En outre, chacun attend et exige de chacun qu’il ait égard à ce besoin qui veut que le sentiment soit universellement partagé, et qui semble venir d’un pacte originaire dicté par l’humanité-même. Ainsi, sans doute, la société a donné de l’importance et un grand intérêt d’abord à des choses qui n’étaient que de simples attraits, comme à des couleurs dont on se peignait (au rou-