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vendique le nom d’homme, a donc aussi le bien mince honneur d’être décorée du nom de sens commun (sensus communis), et de telle sorte que sous le mot commun (non pas seulement dans la langue allemande où le mot gemein a réellement un double sens, mais aussi dans beaucoup d’autres), on entend ce qui est vulgaire (vulgare),[1] c’est-à-dire ce qu’on rencontre partout et dont la possession n’est pas un mérite ou un avantage.

Mais par sensus communis il faut entendre l’idée d’un sens commun à tous[2] , c’est-à-dire d’une faculté de juger qui, dans sa réflexion, songe (a priori) à ce que doit être chez tous les autres le mode de représentation dont il s’agit, afin de comparer en quelque sorte son jugement avec toute la raison humaine, et d’échapper par là à une illusion qui, en nous faisant prendre pour objectives des conditions particulières et subjectives, aurait une funeste influence sur le jugement. Or, pour cela, il faut comparer son jugement aux jugements des autres, et plutôt encore à leurs jugements possibles qu’à leurs jugements réels, et se supposer à la place de chacun d’eux, en ayant soin seulement de faire abstrac-

  1. Commun a en français les deux sens que Kant attribue ici à gemein, mais nous avons de plus, pour exprimer l’un de ces deux sens, le mot vulgaire, dont l’équivalent manque à la langue allemande, ce qui oblige Kant à employer le mot latin vulgare, d’où vient notre mot français. J. B.
  2. Gemeinschaftlichen Sinnes.