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n’est pas une preuve suffisante en fait de jugement sur la beauté ; il comprend que, si, à la rigueur, d’autres peuvent voir et observer pour lui, si, par conséquent, de ce que beaucoup ont vu d’une certaine manière une chose qu’il pense avoir vue autrement, il peut se croire suffisamment autorisé à admettre un jugement théorique, par conséquent logique, de ce qu’une chose a plu à d’autres, il ne s’ensuit pas qu’elle doive être l’objet d’un jugement esthétique. Que si le jugement d’autrui est contraire au nôtre, il peut bien nous faire concevoir de justes doutes sur le nôtre, mais non pas nous convaincre de son inexactitude. Il n’y a donc pas de preuve empirique qui puisse forcer le jugement de goût.

En second lieu, il n’y a pas non plus de preuve a priori qui puisse déterminer, d’après des règles établies, le jugement sur la beauté. Si quelqu’un me lit un poëme ou me conduit à la représentation d’une pièce qui, en définitive, choque mon goût, il a beau invoquer comme des preuves de la beauté de son poëme Batteux ou Lessing, ou d’autres critiques du goût plus anciens et plus célèbres encore, il a beau me citer toutes les règles établies par ces critiques, et me faire remarquer que certains passages, qui me déplaisent particulièrement, s’accordent parfaitement avec les règles de la beauté (telles qu’elles ont été données par ces auteurs