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gination nous transporte dans une campagne éloignée, ou bien (chez les jeunes gens) dans ces rêves de bonheur où l’on passe sa vie dans une île inconnue au reste du monde, avec une petite famille, rêves dont les romanciers ou les inventeurs de robinsonades savent tirer un si bon parti. La fausseté, l'ingratitude, l’injustice, la puérilité dans des choses que nous regardons comme grandes et importantes, et dans lesquelles les hommes se font à eux-mêmes et entre eux tous les maux imaginables, voilà des vices tellement contraires à l’idée de ce que les hommes pourraient être, s’ils voulaient, et au désir ardent que nous avons de les voir meilleurs, que, pour ne pas les haïr, quand nous ne pouvons plus les aimer, l’abandon de tous les plaisirs que peut donner la société paraît un léger sacrifice. La tristesse que nous éprouvons à voir le mal, je ne parle pas de celui que le sort envoie aux autres (la tristesse ici viendrait de la sympathie), mais de celui que les hommes se font entre eux (la tristesse ici vient de l’antipathie des principes), cette tristesse est sublime parce qu’elle repose sur des idées, l’autre est simplement belle. Le spirituel et profond M. de Saussure, dans la description de ses voyages aux Alpes, dit d’une montagne de la Savoie, appelée Bonhomme, “qu’il y règne une certaine tristesse fade”. Il reconnaissait donc aussi une tristesse intéres-