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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE


danger, et, bien loin de chercher l’occasion de nous rappeler la sensation que nous avons éprouvée, nous la repoussons de notre esprit.

Des rochers audacieux suspendus dans l’air et comme menaçants, des nuages orageux se rassemblant au ciel au milieu des éclairs et du tonnerre, des volcans déchaînant toute leur puissance de destruction, des ouragans semant après eux la dévastation, l’immense océan soulevé par la tempête, la cataracte d’un grand fleuve, etc. ; ce sont là des choses qui réduisent à une insignifiante petitesse notre pouvoir de résistance, comparé avec de telles puissances. Mais l’aspect en est d’autant plus attrayant qu’il est plus terrible, pourvu que nous soyons en sûreté ; et nous nommons volontiers ces choses sublimes, parce qu’elles élèvent les forces de l’âme au-dessus de leur médiocrité ordinaire, et qu’elles nous font découvrir en nous-mêmes un pouvoir de résistance d’une tout autre espèce, qui nous donne le courage de nous mesurer avec la toute-puissance apparente de la nature.

En effet, de même que l’immensité de la nature et notre incapacité à trouver une mesure propre à l’estimation esthétique de la grandeur de son domaine nous ont révélé notre propre limitation, mais nous ont fait découvrir en même temps, dans notre faculté de raison, une autre mesure non sen-