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ANALYTIQUE DU SUBLIME.


phénomènes dont l’intuition entraîne l’idée de son infinité, ce qui ne peut arriver qu’à cause du défaut et par suite d’un très-grand effort de l’imagination dans l’estimation de la grandeur d’un objet. Or, dans l’estimation mathématique des grandeurs, l’imagination est capable de donner pour chaque objet une mesure suffisante, car les concepts numériques de l’entendement peuvent, par progression, adapter toute mesure à toute grandeur. C’est donc dans l’estimation esthétique de la grandeur que l’effort tenté pour, atteindre la compréhension dépasse le pouvoir de l’imagination ; c’est là qu’avec le sentiment d’une appréhension qui tend progressivement à un tout d’intuition, nous apercevons l’inaptitude de l’imagination, dont le progrès n’a pas de limites, à saisir et à appliquer une mesure capable de servir à l’estimation de la grandeur, sans donner aucune peine à l’entendement. Or la vraie mesure immuable de la nature est son absolue totalité, c’est-à —dire la compréhension de l’infinité de la nature envisagée comme phénomène. Mais comme cette mesure est un concept contradictoire en soi (à cause de l’impossibilité de l’absolue totalité d’un progrès sans fin), la grandeur d’un objet de la nature pour laquelle l’imagination dépense en vain toute sa faculté de compréhension conduira nécessairement du concept de la nature à un substratum supra-sensible (servant à la fois de