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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE


et variée en ce pays jusqu’à la prodigalité, et n’étant soumise à la contrainte d’aucune règle d’art, pouvait fournir à son goût une nourriture durable. — Le chant même des oiseaux que nous ne pouvons ramener à des règles musicales paraît annoncer plus de liberté, et par conséquent mieux convenir au goût que celui des hommes, qui est soumis à toutes les règles de la musique ; on est bien plus tôt fatigué de ce dernier, quand il est souvent et longtemps renouvelé. Mais ici, nous prenons sans doute la sympathie qu’excite en nous la gaieté d’un petit animal que nous aimons pour la beauté de son chant, car quand ce chant est bien exactement imité par l’homme (comme quelquefois le chant de la cigale), il semble tout à fait insipide à notre oreille.

Il faut encore distinguer les belles choses des beaux aspects que nous prêtons aux objets (que leur éloignement nous empêche souvent de connaître plus distinctement). Dans ce dernier cas, le goût semble moins s’attacher à ce que l’imagination saisit dans ce champ qu’y chercher pour celle-ci une occasion de fiction, c’est-à-dire ces fantaisies particulières dont s’entretient l’esprit continuellement excité par une variété de choses qui frappent l’œil : tel est l’aspect des formes changeantes du feu d’une cheminée ou d’un ruisseau qui murmure ; ces choses ne sont pas des beautés, mais elles ont un attrait pour l’imagination, en entretenant son libre jeu.