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ANALYTIQUE DU BEAU


dans cette absence de toute contrainte, de toute règle, que le goût, Rappliquant aux fantaisies de l’imagination, peut montrer toute sa perfection.

Tout objet exactement régulier (qui se rapproche de la régularité mathématique) a quelque chose en soi qui répugne au goût ; la contemplation n’en occupe pas longtemps l’esprit, et, à moins que celui-ci n’ait expressément pour fin la connaissance ou quelque but pratique déterminé, il y trouve un grand ennui. Au contraire, ce en quoi l’imagination peut se jouer librement et harmonieusement est toujours nouveau pour nous et on ne se fatigue pas de le regarder. Marsden, dans sa description de Sumatra, remarque que dans ce pays les libres beautés de la nature entourent le spectateur de toutes parts, et ont à cause de cela peu d’attrait pour lui, tandis qu’il était bien plus frappé lorsqu’au milieu d’une forêt il trouvait un champ de poivre où les perches sur lesquelles s’appuie cette plante, formaient des allées parallèles ; il en conclut que la beauté sauvage, irrégulière en apparence, ne plaît qu’à cause du contraste à celui qui est rassasié de la régulière. Mais il n’avait qu’à essayer de rester un jour dans son champ de poivre pour s’apercevoir que, quand l’entendement s’est mis d’accord au moyen de régularité avec l’ordre dont il a toujours besoin, l’objet ne le retient pas davantage, et qu’il impose au contraire à l’imagination une contrainte pénible, tandis que la nature, riche