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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE


reur très préjudiciable à la pureté primitive du goût. Sans doute on peut ajouter des attraits à la beauté afin d’intéresser l’esprit par la représentation de l’objet, indépendamment de la pure satisfaction qu’il en reçoit, et de recommander ainsi la beauté au goût, surtout quand celui-ci est encore rude et mal exercé. Mais ils font réellement tort au jugement de goût, lorsqu’ils appellent l’attention sur eux de manière à être pris pour motifs de notre jugement sur la beauté. Car il s’en faut tellement qu’ils y contribuent qu’on ne doit les souffrir que comme des étrangers, lorsque le goût est encore faible et mal exercé, et à la condition qu’ils n’altèrent pas la pure forme de la beauté.

Dans la peinture, la sculpture, et même dans tous les arts plastiques, l’architecture, l’art des jardins, considérés comme beaux-arts, l’essentiel est le dessin, lequel ne s’adresse pas au goût au moyen d’une sensation agréable, mais seulement en plaisant par sa forme. Les couleurs qui enluminent le dessin ne sont que des attraits ; elles peuvent bien animer l’objet pour la sensation, mais non le rendre digne d’être contemplé et déclaré beau ; elles sont au contraire la plupart du temps fort limitées par les conditions mêmes qu’exige la beauté, et là même où il est permis de faire une part à l’attrait, c’est elle seule qui les ennoblit.