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ANALYTIQUE DU BEAU.


agréable, je souffre volontiers qu’on me reprenne et qu’on me rappelle que je dois dire seulement qu’il m’est agréable ; et cela ne s’applique pas seulement au goût de la langue, du palais et du gosier, mais aussi à ce qui peut être agréable aux yeux et aux oreilles. Pour celui-ci la couleur violette est douce et aimable, pour celui-là elle est terne et morte. Tel aime le son des instruments à vent, tel autre celui des instruments à corde. Ce serait folie de prétendre contester ici et accuser d’erreur le jugement d’autrui lorsqu’il diffère du nôtre, comme s’ils étaient opposés logiquement l’un à l’autre ; en fait d’agréable, il faut donc reconnaître ce principe que chacun a son goût particulier (le goût de ses sens).

Il en est tout autrement en matière de beau. Ici, en effet, ne serait-il pas ridicule qu’un homme, qui se piquerait de quelque goût, crût avoir tout décidé en disant qu’une chose (comme, par exemple, cet édifice, cet habit, ce concert, ce poëme soumis à notre jugement) est belle pour lui ? C’est qu’il ne suffit pas qu’une chose plaise pour qu’on ait le droit de l’appeler belle. Beaucoup de choses peuvent avoir pour moi de l’attrait et de l’agrément, personne ne s’en inquiète ; mais lorsque je donne une chose pour belle, j’exige des autres le même sentiment ; je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la beauté