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PREMIÈRE SECTION

Des idées en général

Malgré la grande richesse de nos langues, le philosophe se voit souvent embarrassé pour trouver une expression qui convienne exactement à sa pensée, et faute de cette expression, il ne peut se rendre intelligible ni aux autres ni à lui-même. Forger de nouveaux mots est une prétention à s’ériger en législateur de la langue qui est rarement bien accueillie. Avant d’en venir à ce moyen douteux, il est plus sage de chercher si quelque langue morte et savante ne présenterait pas l’idée en question avec l’expression qui lui convient ; et, dans le cas où l’antique usage de cette expression serait devenu incertain par la faute de son auteur, il vaut encore mieux s’en servir en revenant au sens qui lui est propre (dût-on laisser douteuse la question de savoir si ce sens était bien celui qu’on lui donnait), que de tout perdre en se rendant inintelligible.

Si donc, pour exprimer un certain concept, qu’il importe de distinguer de tout autre concept analogue, il ne se trouve qu’un seul mot dont l’acception reçue convienne exactement à ce concept, il est sage de ne pas le prodiguer, ou de ne pas l’employer seulement comme synonyme pour varier ses expressions, mais de lui conserver soigneusement sa signification particulière ; autrement, l’expression n’ayant pas suffisamment occupé l’attention et se perdant dans une foule d’autres de sens très-différents, il arrive tout naturellement que la pensée, qu’elle aurait pu seule conserver, se perd avec elle.