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d’idées avec d’autres hommes, quelque éloignés qu’ils fussent, ce sont là des concepts dont la possibilité est tout à fait sans fondement, puisqu’elle ne peut être fondée sur l’expérience et sur les lois connues de l’expérience, et que sans elle ils ne sont plus qu’une liaison arbitraire de pensées qui, quoique ne renfermant aucune contradiction, ne peut prétendre à aucune réalité objective, par conséquent à la possibilité d’objets tels que ceux que l’on conçoit ainsi ? Pour ce qui est de la réalité, il va sans dire qu’on ne saurait en concevoir une in concreto sans recourir à l’expérience, puisqu’elle ne peut se rapporter qu’à la sensation comme matière de l’expérience, et non à la forme du rapport, avec laquelle l’esprit pourrait toujours jouer dans ses fictions.

Mais je laisse de côté tout ce dont la possibilité ne peut être déduite que de la réalité dans l’expérience, et je n’examine ici que cette possibilité des choses qui se fonde sur des concepts à priori. Or je persiste à soutenir que de ces concepts les choses ne peuvent être tirées en elles-mêmes, mais seulement comme conditions formelles et objectives d’une expérience en général.

Il semble à la vérité que la possibilité d’un triangle puisse être connue en elle-même par son concept (il est certainement indépendant de l’expérience) ; car dans le fait nous pouvons lui donner un objet tout à fait à priori, c’est-à-dire le construire. Mais comme cette construction n’est que la forme d’un objet, le triangle ne serait toujours qu’un produit de l’imagination, dont l’objet n’aurait encore qu’une possibilité douteuse, puisqu’il faudrait, pour qu’il en fût autrement, quelque chose de plus, à savoir que cette figure fût conçue sous les seules conditions sur lesquelles reposent tous les objets de l’expé-