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DE LA RAISON PURE


nomènes une idée (celle de l’absolue totalité) qui ne pourrait avoir de valeur que par rapport aux choses en soi ; pour le faire cesser, il suffit donc de découvrir cette apparence ou cette illusion. « Alors, dit Kant (p. 108) les deux parties seront convaincues que, si elles peuvent si bien se réfuter l’une l’autre, c’est qu’elles se disputent pour rien et qu’une certaine apparence transcendentale leur a représenté une réalité là où il n’y en a aucune. » Tel est le moyen par lequel notre philosophe prétend mettre fin au procès une bonne fois et à la satisfaction des deux parties ; il est impossible, selon lui, de décider autrement le conflit

La cause générale de ce conflit est dans une vaine apparence qui vient elle-même de l’ignorance où nous restons naturellement, tant que nous n’avons pas été éclairés par la critique, sur le sens ou le véritable usage du principe de la raison pure à l’endroit des problèmes cosmologiques. Il importe donc avant tout de ramener ce principe à sa véritable signification. Or voici à cet égard ce que nous révèle la critique. L’idée rationnelle de la totalité absolue des conditions du monde n’est autre chose qu’une règle qui nous sert à étendre l’expérience aussi loin que possible, en nous prescrivant de remonter toujours plus haut dans la série des conditions de tout phénomène donné. Tel est l’unique usage de cette idée : c’est simplement un principe régulateur ; en dehors de cet usage, il n’a plus aucune valeur. En faire un axiome qui nous donnerait comme existant en soi l’absolue totalité de la série des conditions ; supposer qu’au lieu d’être simplement une règle relative à la régression dans la série des conditions des phénomènes donnés, il nous apprend quelque chose sur ce qu’est l’objet en soi, et convertir ainsi un principe simplement régulateur en un principe constitutif ou doctrinal, c’est là une confusion naturelle sans doute, mais qui n’en est pas moins fausse. Nous considérons ainsi la totalité absolue des conditions du monde comme si elle pouvait nous être connue en soi ; et comme à ce point de vue, sur chacun des problèmes cosmologiques, nous trouvons en faveur des deux thèses opposées des preuves également fortes, nous tombons dans ce conflit que Kant a désigné sous le nom d’antinomies de la raison pure. Pour le faire cesser, il faut dissiper l’apparence d’où il résulte, et rétablir à sa place le sens où la raison s’accorde avec elle-même et dont l’ignorance