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ANALYSE DE LA CRITIQUE


de son savoir là où il n’y a plus proprement ni pénétration ni savoir, il s’arroge le droit de nier ce qui est au-dessus de la sphère de ses connaissances et prétend nous interdire d’admettre, au point de vue pratique, certaines croyances qui nous sont nécessaires, il tombe alors à son tour dans une intempérance d’esprit d’autant plus blâmable que l’intérêt pratique de la raison en reçoit un irréparable dommage.

Kant rapportant à l’épicurisme et au platonisme, comme à leurs types historiques, les deux systèmes, l’empirisme et le dogmatisme, qu’il vient de comparer au point de vue de l’intérêt spéculatif et de l’intérêt pratique, résume ainsi, à ce point de vue, leur mérite et leur défaut : « le premier, dit-il (p. 83), encourage et aide le savoir, mais au préjudice de l’intérêt pratique ; le second fournit des principes excellents au point de vue de cet intérêt ; mais par là même, en matière de savoir purement spéculatif, il nous autorise à nous rattacher à des explications idéalistes des phénomènes naturels et à négliger à leur endroit l’investigation physique. Chacun d’eux dit plus qu’il ne sait. »

La question que Kant pose ici dans une note correspondante, de savoir si Epicure a jamais présenté ses principes comme des assertions objectives, ne peut guère faire de doute pour l’histoire de la philosophie : Epicure n’est pas moins dogmatique que Platon, il l’est peut-être même encore davantage ; mais Kant a raison d’ajouter que « si par hasard ces principes n’avaient été pour lui que des maximes de l’usage spéculatif de la raison, il aurait montré en cela un esprit plus véritablement philosophique qu’aucun des philosophes de l’antiquité, » et l’explication qu’il donne de cette pensée mérite d’être remarquée ; mais je ne la relève pas en ce moment parce que j’aurai occasion de le faire plus tard, dans la partie critique de ce travail.

Pour ce qui est de l’avantage de la popularité, qui, comme on l’a dit plus haut, s’attache exclusivement au dogmatisme, tandis que l’empirisme l’exclut, il semble que ce devrait être le contraire. On serait tenté de croire que le commun des esprits devrait accepter avec empressement cette méthode qui lui promet de le satisfaire en lui offrant exclusivement des connaissances expérimentales et en les enchaînant conformément à la raison, tandis que le dogmatisme transcendental le contraint à s’élever à des concepts qui dépassent de beaucoup les vues et la puissance