Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxii
ANALYSE DE LA CRITIQUE


comme les concepts immanents de l’entendement, mais à porter à sa plus haute unité.

Cette unité rationnelle est celle qui résulte de l’idée de l’inconditionnel ou de l’absolu, qui est, comme nous l’avons déjà vu, au fond de tout raisonnement. Le mot absolu employé ici par Kant est un de ceux dont la philosophie a le plus abusé ; il ne signifie pour notre philosophe rien de plus que la totalité des conditions que la raison pure conçoit nécessairement toutes les fois que quelque chose de conditionnel nous est donné et que nous voulons le ramener à sa condition, ce qui est précisément le propre du raisonnement.

Soit, par exemple, ce raisonnement : Tout homme est mortel, or Caïus est homme, donc Caïus est mortel ; pour arriver à ce dernier jugement, ou à la conclusion (Caïus est mortel), je passe par d’autres jugements qui expriment, soit la règle générale renfermant la condition (homme) de ce jugement conditionnel (Caïus est mortel), prise dans toute son extension (tout homme est mortel), soit la subsomption du cas donné sous cette règle (Caïus est homme) ; et mon raisonnement constitue ainsi une série de jugements exprimant un ensemble de conditions auxquelles est soumise la connaissance qu’il s’agissait de déterminer (celle de Caïus en tant que mortel).

Mais, de même que la raison enchaîne ainsi nos jugements, elle enchaîne aussi nos raisonnements, en remontant de condition en condition par une série de prosyllogismes. Or elle ne peut procéder de la sorte qu’en s’appuyant sur l’idée de la totalité dans la série des prémisses ou des conditions qu’elles expriment. Elle peut aussi, suivant une marche descendante, faire au moyen d’une série d’épisyllogismes, d’un conditionnel donné la condition d’un autre, de celui-ci celle d’un autre encore ; mais ici elle peut demeurer tout à fait indifférente sur la question de savoir jusqu’où s’étend cette progression a parte posteriori, ou même si en général la totalité de cette série est possible, car elle n’en a pas besoin pour la conclusion qui se présente à elle, cette conclusion étant déjà suffisamment déterminée a parte priori. De ce côté au contraire, il faut qu’elle suppose la totalité des conditions, soit que celle-ci ait un point de départ ou n’en ait pas ; car sans cette totalité, le conditionnel, qui en est regardé comme une conséquence, perdrait son caractère rationnel. « Or, comme