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DE LA RAISON PURE


siper cette illusion, nous pouvons empêcher du moins qu’elle continue de nous tromper, et c’est là précisément ce qu’entreprend la dialectique transcendentale. Cette dialectique n’a donc pas affaire, ainsi que la dialectique logique, à une apparence, comme celle des sophismes, qu’il suffit de signaler pour la dissiper : l’illusion qu’elle a pour but de découvrir renaît toujours, parce que cette illusion sort en quelque sorte de la constitution même de la raison humaine ; mais, si la dialectique transcendentale ne peut la faire cesser, elle peut la découvrir et par là écarter l’erreur qui en résulte. Tel est son but.

De la raison pure comme faculté essentiellement distincte de l’entendement pur.

L’apparence dont il s’agit ici a son siège dans la raison pure. Mais qu’est-ce que cette raison pure ? Est-elle autre chose que l’entendement pur. « Toute notre connaissance, dit Kant (p. 359), commence par les sens, passe de là à l’entendement et finit par la raison. » Comment distingue-t-il cette dernière faculté de la précédente ?

Fonction de cette faculté.

Selon lui, la raison a pour fonction de ramener la pensée à sa plus haute unité ; c’est donc la faculté la plus élevée qui soit en nous. Elle se distingue de l’entendement en ce que, tandis que celui-ci peut être défini la faculté de ramener les phénomènes à l’unité au moyen de certaines règles, la raison est celle de ramener à l’unité les règles de l’entendement au moyen de certains principes. Elle est en ce sens, la faculté des principes (en entendant par là les derniers concepts auxquels puisse s’élever l’esprit humain), comme l’entendement est la faculté des règles.

Mais, pour justifier cette distinction de l’entendement et de la raison et l’existence de celle-ci à titre de faculté originale, il faut montrer qu’elle est en effet la source de principes ou de concepts qu’elle ne tire ni des sens, ni de l’entendement.

Il y a d’abord un usage de la raison qui est purement formel ou logique : c’est celui qui consiste à dériver en général une conséquence d’un principe, quelles que soient d’ailleurs la nature et l’origine de ce principe. Cet usage est celui que l’on désigne sous le nom de raisonnement. Ce n’est pas de cet usage qu’il s’agit lorsque l’on considère la raison comme la source de concepts qui lui soient propres : on lui attribue dans ce cas un autre usage, un usage, non plus simplement formel, mais réel. Mais, quoique ces deux usages soient essentiellement distincts, comme ce sont en définitive les deux emplois d’une seule et même face !