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DE LA RAISON PURE

C’est en vertu de ce principe que, quand nous apprenons que quelque chose arrive, nous supposons toujours que quelque chose a précédé qui a déterminé l’événement actuel, et ce n’est que sous cette supposition que cet événement, prenant sa place dans un ordre déterminé de succession, peut être l’objet d’une expérience réelle ou d’une véritable connaissance. Si l’entendement n’établissait pas un tel rapport entre les phénomènes, la succession de nos perceptions ne serait plus qu’un jeu de représentations sans lien et sans objet.

Mais cette règle d’après laquelle certains événements suivent toujours d’autres phénomènes, ou en d’autres termes, la notion du rapport de la causalité, ne résulte-t-elle pas, comme on l’a prétendu, de la perception et de la comparaison de plusieurs événements succédant d’une manière uniforme à des phénomènes antérieurs ? Non, suivant Kant, parce que, s’il en était ainsi, cette règle, étant purement empirique, n’aurait plus rien d’universel et de nécessaire. Sans doute la représentation de cette règle ne peut acquérir la clarté logique d’un concept de cause que quand nous en avons fait usage dans l’expérience (v. p. 257) ; mais elle n’en est pas moins, comme condition de la liaison des phénomènes dans le temps, le fondement de l’expérience même, et à ce titre elle existe bien à priori dans l’entendement, « Toute expérience, dit Kant (p. 259), suppose l’entendement : c’est lui qui en constitue la possibilité, et la première chose qu’il fait pour cela n’est pas de rendre claire la représentation des objets, mais de rendre possible la représentation d’un objet en général. » Or c’est ce qu’il fait au moyen du principe de la causalité ou de la raison suffisante, qui relie les phénomènes dans le temps par un rapport nécessaire et en forme une chaîne continue.

Mais le principe de la liaison causale ne peut-il s’appliquer qu’à la succession des phénomènes, ou ne s’applique-t-il pas aussi à des phénomènes simultanés : la cause et l’effet n’existent-ils pas souvent en même temps ? Tel est en effet le cas de la plupart des causes efficientes de la nature. Mais ce n’est toujours qu’au moyen d’une succession d’états divers que je puis arriver à reconnaître un rapport de causalité entre les phénomènes. Ainsi, quand j’ai transvasé de l’eau d’un seau dans un verre, je trouve un changement dans la figure de la surface