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ANALYSE DE LA CRITIQUE

Il faut bien distinguer d’abord la connaissance vraiment rationnelle ou celle qui se fait par principes (cognitio ex principiis) de la connaissance historique, ou de celle qui résulte de simples données acquises par voie de transmission (cognitio ex datis). Une connaissance, quelle qu’en puisse être l’origine, est historique chez celui qui la possède, quand il ne sait rien de plus que ce qui lui a été transmis du dehors. Ainsi » celui qui a appris un système de philosophie, par exemple celui de Wolf, eût-il dans la tête tous les principes, toutes les définitions et toutes les démonstrations, ainsi que la division de toute la doctrine, et fût-il en état d’en compter toutes les parties sur ses doigts, celui-là n’en a encore qu’une connaissance historique : il ne sait et ne juge que d’après ce qui lui a été donné. Contestez-lui une définition, il ne saura plus où en prendre une autre. Il s’est formé sur une raison étrangère, mais la faculté d’imitation n’est pas la faculté d’invention ; c’est-à-dire que la connaissance n’est pas résultée chez lui de la raison, et que, bien qu’elle soit sans doute, objectivement, une connaissance rationnelle, elle n’est toujours, subjectivement, qu’une connaissance historique. Il l’a bien reçue et bien retenue, c’est-à-dire bien apprise, et il n’est que la statue de plâtre d’un homme vivant (p. 393). » Pour qu’une connaissance objectivement rationnelle le devienne aussi subjectivement, il faut que nous la puisions directement aux sources générales de la raison, en un mot qui nous la tirions des principes mêmes.

Or la connaissance rationnelle, ainsi considérée, est double suivant qu’elle a lieu par concepts ou par construction des concepts ; on a, dans le premier cas, la connaissance philosophique, et, dans le second, la connaissance mathématique. Cette distinction a été trop longuement exposée plus haut pour qu’il y ait besoin d’y insister ici. Kant fait seulement remarquer que, comme la connaissance mathématique ne peut être puisée qu’aux sources mêmes de la raison, et qu’elle exclut par sa nature toute illusion et toute erreur, cette connaissance peut être apprise sans perdre son caractère, tandis qu’il n’en est pas de même de la connaissance philosophique : « en ce qui concerne celle-ci, dit-il (p. 394), on ne peut apprendre tout au plus qu’à philosopher. »