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ANALYSE DE LA CRITIQUE


morales, nécessairement amenée par la loi morale infiniment pure de notre religion, rendit la raison plus pénétrante à l’endroit de cet objet par l’intérêt qu’elle l’obligea à y prendre ; et, sans que ni des connaissances naturelles plus étendues, ni des vues transcendentales exactes et positives (de pareilles vues ont manqué en tout temps) y aient contribué, ces idées produisirent un concept de la nature divine, que nous tenons maintenant pour le vrai, non parce que la raison spéculative nous en convainc, mais parce qu’il s’accorde parfaitement avec les principes moraux de la raison. »

Ainsi Kant revient par la morale à la théologie ou à la religion, et trouve dans la première le fondement de la seconde. Il ne pense pas que celle-ci puisse être séparée de celle-là ; mais qu’on y prenne bien garde : tout en rattachant la loi morale à une volonté suprême, il prétend bien n’en pas faire un acte arbitraire de cette volonté ; car nous n’allons pas de l’idée de cette volonté, qui nous est d’ailleurs absolument inaccessible, à celle de cette loi, mais au contraire de l’idée de cette loi à celle de cette volonté. En d’autres termes, suivant les expressions mêmes de Kant (p. 278), que je cite textuellement, parce qu’elles caractérisent bien le lien qu’il établit entre la morale et la religion : « Nous ne tenons pas nos actions pour obligatoires, parce qu’elles sont des commandements de Dieu, mais nous les regardons comme des commandements divins, parce que nous y sommes intérieurement obligés. » Ce n’est qu’à cette condition que nous pouvons faire un usage convenable de la théologie morale : nous nous en servons ainsi pour remplir notre destination dans le monde en prenant notre place dans le système des fins ; autrement nous nous jetons dans un mysticisme où le fil de la raison nous échappe et où nous nous égarons en de vaines et dangereuses spéculations.

Pour bien marquer la nature de l’état intellectuel où nous devons nous placer ici, Kant analyse les divers états de l’esprit par rapport à la vérité ou à ce que nous tenons pour la vérité, l’opinion, le savoir et la foi. C’est l’objet de la troisième section du chapitre que nous analysons en ce moment.

Ces trois états de l’esprit marquent les trois degrés suivant lesquels nous pouvons tenir quelque chose pour vrai. Lorsqu’un jugement, loin de se fonder sur des principes objectifs suffisants,