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DE LA RAISON PURE


l’idée même de la loi morale, à laquelle elle est indissolublement unie, s’évanouirait à son tour comme une idée fantastique.

C’est ainsi que Kant comble, au moyen de la théologie morale, les lacunes de la théologie spéculative, transcendentale ou naturelle : celle-ci ne pouvait déterminer l’idée de l’être suprême et en certifier la vérité ; celle-là nous conduit infailliblement à le concevoir comme une volonté unique et souveraine, dont elle assure la réalité objective en la rattachant indissolublement à la loi morale. Cette volonté doit être une, car comment trouver en diverses volontés cette parfaite unité de fins qu’exige le souverain bien, et, ajoute Kant (p. 374), « elle doit être toute puissante, afin que toute la nature et son rapport à la moralité dans le monde lui soient soumis ; omnisciente, afin de connaître le fond des intentions et leur valeur morale ; présente partout, afin de pouvoir prêter immédiatement l’assistance que réclame le souverain bien du monde ; éternelle, afin que cette harmonie de la nature et de la liberté ne fasse défaut en aucun temps, etc. » La théologie morale ainsi fondée fonde à son tour la théologie physique et la théologie transcendentale. L’investigation de la nature reçoit par là, en effet, une direction qu’elle ne pouvait prendre d’elle-même : elle suit la forme d’un système de fins que lui fournit l’usage moral, et d’après laquelle nous nous représentons le monde comme résultant d’une idée, et elle devient ainsi une véritable théologie physique. Et comme la finalité de la nature se trouve ramenée de la sorte à des principes qui doivent être inséparablement liés à priori à la possibilité interne des choses, nous revenons ainsi à la théologie transcendentale, qui fait de l’idéal de la souveraine perfection ontologique le principe de l’unité des lois du monde.

Cette marche de la raison est confirmée, suivant Kant, par l’histoire de l’esprit humain. « Avant, dit-il (p. 376), que les concepts moraux eussent été suffisamment épurés et déterminés et que l’unité systématique des fins eût été envisagée suivant ces concepts et d’après des principes nécessaires, la connaissance de la nature et même la culture de la raison, poussée à un remarquable degré dans beaucoup d’autres sciences, ou ne purent produire que des concepts grossiers et vagues de la divinité, ou laissèrent les hommes dans une étonnante indifférence sur cette question en général. Une plus grande élaboration des idées