Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxxxiv
ANALYSE DE LA CRITIQUE


lié à celui de la moralité. Or cette harmonie nécessaire de la moralité et du bonheur, qui constitue le souverain bien, ne peut être un effet naturel de nos actions ; car, pour que les êtres raisonnables fussent eux-mêmes les auteurs de leur bonheur et de celui des autres, et que la moralité se récompensât ainsi elle-même, il faudrait au moins que chacun fit son devoir. Si donc elle ne peut résulter du cours même de la nature des choses, il faut bien admettre une raison suprême capable de la produire, et qui, réalisant en lui-même l’idéal du souverain bien, réalise aussi dans le monde celui que nous concevons comme le but suprême de notre activité morale : l’harmonie de la moralité et du bonheur. Par la même raison nous devons admettre une vie future où s’accomplisse cette harmonie que ne comporte pas le monde actuel. « Dieu et une vie future, conclut Kant (p. 371), sont donc, suivant les principes de la raison, deux suppositions inséparables de l’obligation que cette même raison nous impose. » Sans elles les lois morales elles-mêmes s’évanouiraient comme des chimères, puisque la conséquence nécessaire que la raison y attache deviendrait dans ce cas impossible. » Kant développe la même idée un peu plus loin : « Il est nécessaire, dit-il (p. 372), que toute notre manière de vivre soit subordonnée à des lois morales ; mais il est en même temps impossible que cela ait lieu, si la raison ne joint pas à la loi morale, qui n’est qu’une idée, une cause efficiente qui détermine, d’après notre conduite par rapport à cette loi, un dénouement correspondant exactement, soit dans cette vie, soit dans une autre, à nos fins les plus hautes. Sans un Dieu et sans un monde qui n’est pas maintenant visible pour nous, mais que nous espérons, les magnifiques idées de la moralité peuvent bien être des objets d’approbation et d’admiration mais ce ne sont pas des mobiles d’intention et d’exécution, parce qu’elles n’atteignent pas tout ce but, naturel à tout être raisonnable, qui est déterminé à priori par cette même raison pure et qui est nécessaire. » Kant n’en maintient pas moins le caractère essentiellement désintéressé de la moralité : l’intention ne serait plus morale et par conséquent elle ne serait plus digne de bonheur, si elle était déterminée par la perspective du bonheur ; mais, comme ces deux éléments, la moralité et le bonheur, doivent être, aux yeux de la raison, nécessairement liés, s’il fallait regarder l’idée de cette harmonie comme chimérique,