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DE LA RAISON PURE


pour la raison spéculative d’usage immanent, c’est-à-dire applicable aux objets de l’expérience et par conséquent utile pour nous de quelque façon ; mais il n’en est plus de même au point de vue de l’intérêt pratique : ils ont ici une importance telle que, sans eux, l’ordre moral ne saurait subsister. C’est ce que Kant entreprend de montrer (en attendant la Critique de la raison pratique) dans le chapitre que nous analysons en ce moment, particulièrement dans la seconde section, qui a pour titre : De l’idéal du souverain bien comme principe servant à déterminer le but final de la raison pure.

Tout l’intérêt, soit spéculatif, soit pratique, de la raison porte sur les trois points suivants : 1° Que puis-je savoir ? 2° Que dois-je faire ? 3° Qu’ai-je à espérer ? Or, en ce qui concerne la première question, la critique de la raison pure nous a laissés tout aussi éloignés des deux grandes fins auxquelles tendent proprement tous les efforts de la raison pure, Dieu et l’immortalité de l’âme, que si l’on avait dès le début renoncé à ce travail par paresse : « Si donc, conclut Kant (p. 366), c’est du savoir qu’il s’agit, il est du moins sûr et décidé que, sur ces deux problèmes, nous ne l’aurons jamais en partage. » Mais la seconde question, qui est purement pratique, et qui, bien que relevant de la raison pure, n’est plus transcendentale, mais morale, nous conduit à une solution de la troisième, qui met fin à cette incertitude théorique et nous ramène aux objets sur lesquels nous n’avions pu énoncer aucune affirmation.

Conséquences résultant des lois morales relativement à l’existence de Dieu et de la vie future.

Les lois morales, en effet, qui commandent ce que je dois faire ou ne pas faire indépendamment de tout mobile empirique, et par conséquent de toute considération de bonheur, ces lois, dont le jugement moral de tout homme suffit à prouver l’existence, nous transportent dans un monde intelligible auquel elles donnent une valeur objective qu’il ne pouvait avoir aux yeux de la raison spéculative, et nous permettent ainsi d’affirmer ce que celle-ci avait laissé douteux : Dieu et la vie future.

En effet, elles nous ordonnent de faire ce qui seul peut nous rendre dignes d’être heureux ; et, comme elles sont nécessaires aux yeux de la raison pratique, il est nécessaire aussi d’admettre, dans l’ordre spéculatif, que chacun a sujet d’espérer le bonheur dans la mesure où il s’en est rendu digne par sa conduite, et que, par conséquent, le système du bonheur est inséparablement