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ANALYSE DE LA CRITIQUE


rien, elle n’explique rien. Ainsi, par exemple (v. p. 336), il n’est point permis de supposer un entendement capable de percevoir son objet sans le secours des sens, ou une force exerçant son attraction sans contact, ou une espèce de substance présente dans l’espace sans impénétrabilité, ou un commerce de substances agissant les unes sur les autres en dehors des conditions de l’espace, etc. Toutes ces suppositions sont sans valeur, parce qu’elles sont en dehors des conditions de l’expérience possible. « En un mot, dit Kant (ibid.), notre raison ne peut que se servir des conditions de l’expérience possible, comme de conditions de la possibilité des choses ; mais elle ne peut nullement se créer en quelque sorte des choses tout à fait indépendamment de ces conditions ; car des concepts de ce genre, sans impliquer de contradiction, seraient cependant sans objet. »

Il suit de là que la raison, dans son usage spéculatif, n’a point le droit de suppléer au manque de principes physiques d’explication par des principes hyperphysiques, ou de recourir à des hypothèses transcendantes. Elle peut bien employer certaines idées, celle par exemple de la simplicité de l’âme, ou celle d’un auteur divin des choses, comme des principes régulateurs propres à la guider dans le champ même de l’expérience, et à imprimer à ses connaissances, dans ce champ, l’unité nécessaire ; mais elle ne saurait les donner pour fondement par hypothèse à l’explication des phénomènes réels, car ce serait vouloir expliquer quelque chose dont on ne comprend rien du tout, par quelque chose que l’on ne comprend pas suffisamment. Ce serait le fait d’une raison paresseuse de laisser tout d’un coup de côté toutes les causes que le progrès de l’expérience peut encore nous révéler, pour se reposer dans une simple idée, très-commode sans doute, mais dont la réalité objective n’est nullement démontrable.

Deuxième condition.

La seconde condition requise pour qu’une hypothèse soit valable, c’est qu’elle suffise pour déterminer à priori tous les effets donnés, et que par conséquent elle dispense de recourir à des hypothèses subsidiaires. Or cette seconde condition n’exclut pas moins que la précédente l’emploi des hypothèses transcendantes. Si, par exemple, on suppose une cause absolument parfaite pour expliquer l’ordre et l’harmonie qui existent dans le monde, on a besoin de recourir à de nouvelles hypothèses pour expliquer