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ANALYSE DE LA CRITIQUE

Dira-t-on que la raison, ce tribunal suprême qui doit résoudre toutes les difficultés, est condamnée à tomber en contradiction avec elle-même ? Kant rappelle que la contradiction qu’il a lui-même exposée sous le titre d’antithétique de la raison pure n’est qu’apparente, que les antinomies cosmologiques reposent sur un malentendu qu’a dissipé la critique, et que les autres, particulièrement celle qui concerne l’existence d’un être suprême, n’offrent pas non plus une contradiction réelle, puisque la négation n’y saurait prendre le caractère d’une affirmation catégorique, et que l’affirmation contraire reste au moins possible pour un autre, ordre de considérations.

Ce n’est pas que Kant partage cette espérance souvent exprimée que, si les preuves qu’on a données jusqu’ici de ces deux propositions cardinales : il y a un Dieu, il y a une vie future, sont insuffisantes, on arrivera un jour à en trouver des démonstrations évidentes. « Je suis certain au contraire, déclare-t-il (p. 312) que cela n’arrivera jamais. En effet, où la raison prendrait-elle le principe de ces affirmations synthétiques qui ne se rapportent pas à des objets d’expérience ? » Mais il regarde aussi comme parfaitement certain que jamais homme ne pourra affirmer le contraire, non seulement d’une manière dogmatique, mais même avec la moindre apparence ; et il pense que, dans cet état de choses, on peut toujours, sans avoir besoin de recourir à des arguments d’école, admettre ces deux propositions, qui, dans l’usage empirique, s’accordent parfaitement avec l’intérêt spéculatif de notre raison, et qui sont en outre les seuls moyens de le concilier avec l’intérêt pratique.

Revendication de la liberté absolue d’investigation.

Il réclame en tout cas pour la raison la plus entière liberté d’investigation et de critique ; il la réclame au nom même de la raison, qui souffre toujours quand des mains étrangères viennent la détourner de sa marche naturelle. « Laissez donc, s’écrie-t-il (p. 314), parler votre adversaire, pourvu qu’il ne le fasse qu’au nom de la raison, et ne le combattez qu’avec les armes de la raison. » — « Laissez faire, dit-il plus loin (p. 316), en développant la même idée, laissez faire ces gens-là : s’ils montrent du talent, une investigation neuve et profonde, en un, mot, de la raison, la raison y gagnera toujours. Si vous employez d’autres moyens que ceux d’une raison libre, si vous criez à la trahison, si, comme pour éteindre un incendie, vous