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DE LA RAISON PURE


pas que ce qui est ne paisse être autrement. Quant aux preuves à priori, auxquelles donne lieu la connaissance philosophique, comme elles ne peuvent se faire qu’au moyen des concepts, en considérant le général in abstracto, et non, comme les mathématiques, in concreto, elles ne sont pas des démonstrations dans le sens véritable de ce mot. Kant propose de les appeler plutôt des preuves acroamatiques,

La conclusion qui ressort de cette comparaison de la méthode mathématique et de la méthode philosophique, c’est que la philosophie, tout en ayant raison de chercher à former une alliance fraternelle avec les mathématiques, ne doit pas se parer des titres et des insignes de cette science et affecter, sous cet affablement, des airs dogmatiques qui ne lui conviennent pas. « Ce sont là, dit Kant (p. 306), de vaines prétentions qui ne sauraient aboutir, mais qui doivent bientôt engager la philosophie à retourner en arrière afin de découvrir les illusions d’une raison qui méconnaît ses bornes, et de ramener, au moyen d’une explication suffisante de nos concepts, les prétentions de la spéculation à une modeste, mais solide connaissance de soi-même. » En général, la méthode qui sied à la philosophie, dont le but propre est de mettre en pleine lumière tous les pas de la raison, ne saurait être la méthode dogmatique. Cela ne veut pas dire qu’elle ne doive pas être systématique : toute science doit revêtir ce caractère, et notre raison est elle-même un système ; mais ce n’est point un système de dogmes transcendants, c’est un système de recherches suivant des principes d’unité dont l’expérience seule peut fournir la matière.

De l’usage polémique de la raison.

Après avoir tracé à la raison pure sa discipline par rapport à son usage dogmatique, il faut la lui indiquer aussi par rapport à son usage polémique, c’est-à-dire au point de vue de la défense de ses propositions contre les négations dogmatiques. « Il ne s’agit pas, dit Kant (p. 310), de savoir si par hasard ces assertions ne seraient pas fausses, mais de constater que personne ne peut affirmer le contraire avec une certitude apodictique, ni même avec une plus grande apparence. Car alors ce n’est point tout à fait par grâce que nous restons dans notre possession, bien que nous ne puissions invoquer en sa faveur un titre suffisant ; mais il est parfaitement certain que personne ne pourra jamais prouver l’illégitimité de cette possession. »