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DE LA RAISON PURE


comme si elles tenaient leur existence d’une intelligence suprême, nous fournit la règle d’après laquelle la raison doit procéder pour sa plus grande satisfaction dans la liaison des causes et des effets dans le monde. Tel est le rôle des idées de la raison pure : elles sont, par leur nature même, des principes régulateurs, ou, comme dit encore Kant (p. 252), euristiques, non des principes constitutifs, ou ostensifs ; et telle est aussi la seule valeur objective que nous soyons fondés à leur attribuer. Rien sans doute, — si toutefois l’on accepte l’idée cosmologique, où, comme on l’a vu, la raison se heurte à une antinomie » quand elle veut la réaliser, — rien dis-je, ne nous empêche de supposer qu’elles aient une réalité objective : il n’y a aucune contradiction à le faire ; mais, comme il ne suffit pas pour admettre une chose de n’y trouver aucun empêchement positif » et comme les objets que nous admettons ainsi sont placés tout à fait en dehors de la sphère de notre connaissance, puisque, s’ils ne contredisent aucun de nos concepts, ils les surpassent tous, nous devons nous borner à nous en servir comme de principes régulateurs, sans prétendre rien connaître par là en dehors du champ des objets de l’expérience possible.

Une remarque confirme cette conclusion. Il est si vrai que la nature de cet être divin dont nous imposons l’idée comme une règle à l’expérience pour en relier les parties et en achever l’édifice, échappe aux prises de notre connaissance, que nous ne pouvons l’admettre que relativement à autre chose, au monde sensible, et non d’une manière absolue et en soi. « Je n’ai point, dit Kant (p. 259), de concepts pour cela : les concepts de réalité, de substance, de causalité, ceux aussi de nécessité dans l’existence perdent toute signification et ne sont plus que de vains titres de concepts sans aucun contenu, quand je me hasarde à sortir avec eux du champ des choses sensibles. »

Ce que Kant vient de rappeler le conduit à la question même qu’il s’était proposé de résoudre et qui résume toute la dialectique transcendentale : quel est le but final des idées de la raison pure ? « La raison pure, dit-il (p. 260), n’est dans le fait occupée que d’elle-même, et elle ne peut avoir d’autre fonction, puisque ce ne sont pas les objets qui lui sont donnés pour en recevoir l’unité du concept de l’expérience, mais les connaissances de l’entendement pour acquérir l’unité du concept de la