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DE LA RAISON PURE


double intérêt de la raison, dont chaque partie prend à cœur ou affecte de prendre à cœur un côté, et par conséquent que la différence des maximes touchant la diversité ou l’unité de la nature. Ces maximes peuvent bien s’unir ; mais, tant qu’on les tient pour des vues objectives, elles occasionnent non-seulement un conflit, mais des obstacles qui retardent longtemps la vérité, jusqu’à ce que l’on trouve un moyen de concilier les intérêts en litige et de tranquilliser la raison sur ce point. — Il en est de même de cette fameuse loi de l’échelle continue des créatures, que Leibnitz a mise en circulation et que Bonnet a excellemment appuyée, mais que d’autres ont attaquée : elle n’est qu’une application du principe de l’affinité, qui repose sur l’intérêt de la raison ; car on ne saurait la tirer, à titre d’affirmation objective, de l’observation et de la vue des dispositions de la nature. Les degrés de cette échelle, autant que l’expérience nous les peut montrer, sont beaucoup trop éloignés les uns des autres, et nos prétendues petites différences sont ordinairement dans la nature même de tels abîmes qu’il est impossible de demander à des observations de ce genre les desseins mêmes de la nature (d’autant plus que dans une grande variété il doit être très-aisé de trouver des analogies et des rapprochements). Au contraire, la méthode qui consiste à chercher l’ordre dans la nature suivant un tel principe, et la maxime qui veut que l’on regarde cet ordre comme fondé dans une nature en général, sans pourtant déterminer où et jusqu’où il règne, cette méthode est certainement un excellent et légitime principe régulateur de la raison, qui, comme tel, va sans doute beaucoup trop loin pour que l’expérience ou l’observation puisse lui être adéquate, mais qui, sans rien déterminer, les met cependant sur la voie de l’unité systématique. »

Du but final des idées de la raison pure.

Avant de quitter la dialectique naturelle de la raison humaine, qu’il vient d’exposer et d’expliquer dans toutes ses parties, Kant raison pure s’applique à en faire ressortir par une vue d’ensemble le but final (p. 251), ce qui le conduit à reprendre, pour les mettre de nouveau en lumière, les principaux résultats auxquels l’a conduit le long examen qu’il en a fait précédemment. Notre philosophe est de ceux qui ne lâchent jamais un sujet avant d’en avoir épuisé l’analyse, et qui tournent et retournent si bien leur pensée qu’ils reviennent souvent sur leurs pas au lieu d’avancer.