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DE LA RAISON PURE


sans lesquels la connaissance n’existerait même pas ; c’est un principe régulateur, qui sert à la porter à la plus haute unité, à une unité à laquelle les principes de l’expérience ne sauraient atteindre par eux-mêmes. Aussi cette unité est-elle pour nous problématique : nous ne pouvons affirmer, par exemple, que la force fondamentale que nous cherchons existe en effet, mais nous n’en devons pas moins la chercher dans l’intérêt même de la raison. Est-ce à dire qu’elle n’ait qu’une valeur subjective ? Kant, au risque de se contredire (ce que nous examinerons en son lieu), n’accorde pas cette conséquence extrême. Voici en quels termes il répond à la question (p. 235) : « En faisant attention à l’usage transcendental de l’entendement, on aperçoit que cette idée d’une force fondamentale en général n’est pas seulement déterminée comme un problème pour l’usage hypothétique, mais qu’elle offre une réalité objective par laquelle l’unité systématique des diverses forces d’une substance est postulée et un principe apodictique est constitué. En effet, sans avoir encore cherché l’accord des diverses forces, et même après avoir échoué dans toutes les tentatives faites pour le découvrir, nous présupposons cependant qu’il doit y avoir un accord de ce genre. Et ce n’est pas seulement, comme dans le cas cité, à cause de l’unité de la substance ; mais, là même où il y a plusieurs substances, bien que jusqu’à un certain point analogues, comme dans la matière en général, la raison présuppose l’unité systématique de diverses forces, puisque les lois particulières de la nature rentrent sous des lois plus générales, et que l’économie des principes n’est pas seulement un principe économique de la raison, mais une loi interne de la nature. Dans le fait, on ne voit pas comment un principe logique de l’unité rationnelle des règles pourrait avoir lieu, si l’on ne présupposait un principe transcendantal au moyen duquel cette unité systématique est admise à priori comme nécessairement inhérente aux objets mêmes. En effet, de quel droit la raison pourrait-elle vouloir, dans son usage logique, traiter comme une unité cachée la diversité des forces que la nature nous fait connaître, et les dériver, autant qu’il est en elle, de quelque force fondamentale, s’il lui était loisible d’accorder qu’il est également possible que toutes les forces soient hétérogènes, et que l’unité systématique ne soit pas conforme à la nature ? car alors elle agirait contrairement à sa destination en se