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ANALYSE DE LA CRITIQUE


dit-il (p. 223), nuls et de nulle valeur. Kant met ceux qui repoussent cette conclusion au défi de justifier les moyens et les lumières auxquels ils ont recours pour dépasser toute expérience possible par la seule puissance des idées ; car telle est la condition de toute théologie spéculative, de la théologie physique comme de la théologie transcendentale, puisqu’en définitive la première se voit forcée de recourir à la seconde pour compléter son concept.

Que reste-t-il donc ici dans le creuset de la critique ? Il reste un idéal de la raison pure, c’est-à-dire un concept de l’être suprême qui termine et couronne toute la connaissance humaine (v. p. 227). La raison spéculative est sans doute impuissante à démontrer la réalité objective de ce concept, mais elle ne l’en pose pas moins au sommet de la connaissance, comme celui d’un être absolument parfait, infini, etc. ; et, en nous offrant ainsi un concept épuré de tout élément sensible, exempt de toute limitation empirique, tel en un mot que doit être celui d’un être premier, elle prépare le terrain à une autre espèce de théologie, la théologie morale, qui sera peut-être plus heureuse que la précédente. Si en effet la morale, ou ce que Kant appelle la raison pratique, par opposition à la raison spéculative ou théorétique (laquelle se borne à l’ordre de la connaissance), nous fournit un motif suffisant d’admettre l’existence de Dieu, non-seulement nous sommes assurés que nous pouvons le faire sans contradiction, mais nous sommes en possession du seul concept qui convienne ici. Telle est l’utilité, négative sans doute, mais très importante, que nous offre, malgré son insuffisance, la théologie

    du monde (en laissant indécise la question de savoir s’il en est la cause par la nécessité de sa nature ou par sa liberté) ; celui-ci se représente un auteur du monde. » — Kant ajoute plus loin (p. 220) : « Comme on est accoutumé d’entendre, sous le concept de Dieu, non pas simplement une créature éternelle agissant aveuglément, mais un être suprême qui doit être l’auteur des choses par son intelligence et sa liberté, et que ce dernier concept est d’ailleurs le seul qui nous intéresse, on pourrait, à la rigueur, refuser au déiste toute croyance en Dieu et ne lui laisser que l’affirmation d’un être premier ou d’une cause suprême. Cependant, comme personne ne doit être accusé de vouloir nier une chose, parce qu’il n’ose l’affirmer, il est plus équitable et plus juste de dire que le déiste croit en un Dieu, mais que le théiste croit en un Dieu vivant (summa intelligentia). »