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DE LA RAISON PURE


même ; donc un être absolument nécessaire existe. Et, ajoute-t-il pour compléter l’argument, cet être nécessaire ne peut être que l’être souverainement réel (ens realissimum), puisque le concept de celui-ci est le seul qui convienne à celui-là.

Cette preuve, au lieu d’être déduite absolument à priori d’un concept de la raison pure, se distingue de la précédente en ce qu’elle prend son point de départ dans le monde, dans une existence donnée par l’expérience, soit seulement ma propre existance, soit celle du monde en général : aussi s’appelle-t-elle la preuve cosmologique, ou la preuve a contingentia mundi ; mais cette distinction est, suivant Kant, plus apparente que réelle, et la preuve cosmologique, après avoir commencé par s’appuyer sur l’expérience, finit par l’abandonner pour retourner à la preuve ontologique, qu’elle avait voulu éviter. Tel est, en effet, l’artifice de cette seconde preuve : « elle donne pour nouveau, dit Kant (p. 197), un vieil argument rhabillé, et elle en appelle à l’accord de deux témoignages, celui de la raison pure et celui de l’expérience, quand c’est seulement le premier qui change de figure et de voix, afin de se faire passer pour le second. » C’est que l’expérience, sur laquelle elle s’appuie d’abord, ne pouvant rien nous apprendre des attributs de cet être nécessaire dont elle a conclu l’existence de celle du monde en général, force est bien de chercher dans de purs concepts quels attributs doit avoir un être absolument nécessaire, c’est-à-dire d’en revenir à l’argument ontologique pour démontrer que cet être nécessaire ne peut être que l’être souverainement réel, attendu que le concept de celui-ci est le seul qui implique l’absolue nécessité dans l’existence. « Ainsi, dit Kant (p. 199), la seconde voie que suit la raison spéculative pour démontrer l’existence de l’être suprême n’est pas seulement aussi fausse que la première, mais elle a de plus ce défaut de tomber dans le sophisme appelé ignoratio elenchi, en nous promettant de nous ouvrir un nouveau sentier, et en nous ramenant, après un léger détour, à celui que nous avions quitté pour elle. »

Mais Kant ne se contente pas de dévoiler cet artifice. Prenant la preuve pour ce qu’elle se donne, il en fait ressortir l’impuissance en montrant combien il est vain de prétendre conclure du contingent dans le monde à une cause suprême hors du monde. Le concept de la causalité n’a de valeur et d’usage


I. G