Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xciv
ANALYSE DE LA CRITIQUE


la raison pratique ; mais c’est de l’idéal de la raison spéculative ou de ce qu’il appelle l’idéal transcendental qu’il doit être ici question, puisque c’est la raison spéculative qui est l’objet de son examen. Voyons donc en quoi consiste précisément cet idéal.

Pour connaître parfaitement une chose, il faudrait connaître tout le possible : ce n’est que par là que nous pourrions la déterminer complètement, soit affirmativement, soit négativement. Mais, comme cette connaissance de tout le possible, qui est la condition de la détermination complète de chaque chose, ne nous est pas donnée, cette détermination ne peut être pour nous qu’un concept se fondant sur une idée de la raison et prescrivant à l’entendement la règle de son parfait usage (p. 169). Or il ne suffit pas de concevoir cette idée comme celle de l’ensemble de toute possibilité, mais la raison en fait un concept complètement déterminé, en nous la présentant comme celle d’un être possédant la plénitude de la réalité (ens realissimum) et renfermant ainsi toute la substance d’où peuvent être tirés tous les prédicats possibles des choses, et c’est cette idée ainsi déterminée à priori qui forme l’idéal transcendental de la raison pure. Toute possibilité des choses est en effet considérée comme dérivée ; seule, celle de ce qui renferme en soi toute réalité est considérée comme originaire (p. 173). Nous ne pouvons donc songer à la possibilité d’aucune chose sans nous élever à l’idée d’un être originaire, que nous appelons soit l’être suprême, en tant que nous n’en concevons point au-dessus de lui, soit l’être des êtres, en tant que nous concevons tous les autres comme lui étant subordonnés. Cela ne veut pas dire que nous devions nécessairement admettre l’existence d’un tel être ; nous restons à cet égard dans une complète ignorance (p. 174) ; mais nous ne pouvons nous dispenser d’en supposer l’idée pour y ramener toute pensée des choses en général, considérées au point de vue de leur possibilité. C’est un idéal que nous trace la raison pure (spéculative), et dont elle fait la règle suprême de notre jugement, mais sans nous donner le droit d’en affirmer la réalité objective.

Ce dernier point, c’est-à-dire l’impuissance de la raison spéculative à démontrer l’existence d’un être suprême, ou de Dieu, mérite une discussion approfondie. Cette discussion forme une