DE L OPINION, DE LA SCIENCE ET DE LA FOI 639 Le mot foi est, en pareil cas, un terme de modestie au point de vue objectif, mais cependant il est, en même temps, l'ex- pression d'une ferme confiance au point de vue subjectif. Si je voulais donner ici à la croyance simplement théorique le nom d'une hypothèse que j'aurais le droit d'admettre, je ferais entendre par là que j'ai de la nature d'une cause du monde et d'une autre vie un concept plus parfait que celui que je puis réellement montrer. Car, pour admettre quelque chose tout simplement à titre d'hypothèse, il faut au moins que j'en connaisse suffisamment les propriétés pour n'avoir pas besoin d'en imaginer le concept, mais uniquement l'existence. Mais le mot foi ne regarde que la direction qui m'est donnée par une idée et l'influence subjective qu'elle exerce sur le développement des actes de ma raison et qui me fortifie dans cette idée, bien que je ne sois pas, grâce à elle, en état d'en rendre compte au point de vue spéculatif. Or, la foi simplement doctrinale a en soi quelque chose de chancelant; on en est souvent éloigné par les difficultés qui se présentent dans la spéculation, quoiqu'on y revienne toujours immanquablement de nouveau. Il en va tout autrement de la foi morale. En effet, il est absolument nécessaire, en ce cas, que quelque chose ait lieu, c'est-à -dire que j'obéisse en tous points à la loi morale. Le but est indispensablement fixé et il n'y a qu'une seule condition possible, à mon point de vue, qui per- mette à ce but de s'accorder avec toutes les autres fins et qui lui donne ainsi une valeur pratique, à savoir, qu'il y a un Dieu et un monde futur ; je suis très sûr aussi que per- sonne ne connaît d'autres conditions qui conduisent à la môme unité des fins sous la loi morale. Mais, comme le pré- cepte moral est en même temps ma maxime (ainsi que la raison ordonne qu'il le soit), je crois infailliblement à l'exis- tence, de Dieu et à une vie future et je suis sûr que rien ne peut rendre cette foi chancelante, parce que cela renverserait mes principes moraux eux-mêmes auxquels je ne puis renoncer sans devenir digne de mépris à mes propres yeux. De cette manière, malgré la ruine de tous les desseins ambitieux d'une raison qui s'égare au delà des limites de toute expérience, il nous reste encore de quoi avoir lieu d'être satisfaits au point de vue pratique. Assurément, per-
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