636 CANON DE LA RAISON PURE cience d'être insuffisante aussi bien subjectivement qu'objec- tivement. Si la croyance n'est que subjectivement suffisante et si elle est en même temps tenue pour objectivement insuf- fisante, elle s'appelle foi. Enfin, la croyance suffisante aussi bien subjectivement qu'objectivement, s'appelle science. La suffisance subjective s'appelle conviction (pour moi-même) et la suffisance objective, certitude (pour tout le monde). Je ne m'arrêterai pas à éclaircir des concepts si clairs. Je n'ai jamais le droit d'avoir une opinion sans avoir au moins quelque savoir au moyen duquel le jugement simple- ment problématique en soi se trouve rattaché à la vérité par un lien qui, sans être complet, est cependant quelque chose de plus qu'une fiction arbitraire. La loi d'une liaison de ce genre doit, en outre, être certaine. En effet, si je n'ai, par rap- port à cette loi, qu'une simple opinion; tout n'est alors qu'un jeu de l'imagination sans le moindre rapport à la vérité. Dans les jugements de la raison pure il n'y a nulle place pour l'opi- nion. Car, puisqu'ils ne sont pas appuyés sur des principes d'expérience, mais que, là où tout est nécessaire, tout doit être connu a priori, le principe de la liaison exige l'univer- salité et la nécessité et, par suite, une entière certitude, sans quoi il n'y aurait plus de, chemin qui mène à la vérité. Aussi est-il absurde d'émettre des opinions dans la Mathématique pure; il faut savoir, ou s'y abstenir de tout jugement. Il en est de même dans les principes de la moralité, car on n'a pas le droit de risquer une action sur la simple opinion que quelque chose est permis, mais il faut le savoir. Dans l'usage transcendantal de la raison, l'opinion est, à la vérité, trop peu élevée, mais le savoir, en revanche, l'est beaucoup trop. Sous le rapport purement spéculatif nous ne pouvons donc nullement juger ici, puisque les principes subjectifs de la croyance, comme ceux qui peuvent aussi produire la foi, ne méritent aucun crédit dans les questions spéculatives, attendu qu'ils se tiennent pour exempts de tout secours empirique et qu'ils ne sauraient se communiquer aux autres au même degré. Ce n'est jamais qu'au point de vue pratique que la croyance théoriquement insuffisante peut être appelée foi. Or, ce point de vue pratique est ou celui du savoir-faire ou celui de la moralité; le premier se rapporte à des fins arbitraires et contingentes et le second à des fins absolument nécessaires.
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