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préface de la seconde édition

permettent de déterminer ce concept rationnel transcendant de l’Inconditionné et de dépasser, de cette manière, conformément au désir de la Métaphysique, les limites de toute expérience possible avec notre connaissance a priori, mais uniquement possible au point de vue pratique. En suivant cette méthode, la raison spéculative nous a du moins procuré un champ libre pour une pareille extension, bien qu’elle ait dû le laisser vide. Il nous est donc encore permis, et elle-même nous y invite tout à fait, de le remplir, si nous le pouvons, par ses données pratiques[lower-greek 1].

C’est dans cette tentative de changer la méthode suivie jusqu’ici en Métaphysique et d’opérer ainsi en elle une révolution totale, suivant l’exemple des géomètres et des physiciens, que consiste l’œuvre de cette Critique de la raison pure spéculative. Elle est un traité de la méthode et non un système de la science elle-même. Mais elle en décrit tout de même la circonscription totale, tant par rapport à ses limites que par rapport à sa structure interne ; c’est que la raison pure spéculative a ceci de particulier en elle-même, qu’elle peut et doit mesurer exactement son propre pouvoir suivant les diverses manières dont elle choisit les objets (Objecte) de sa pensée et faire aussi un dénombrement complet de toutes les façons différentes de se poser les problèmes, en même temps que se tracer, de cette manière, tout le plan d’un système de métaphysique. En effet, pour ce qui regarde le premier point, dans la connaissance a priori rien ne peut être attribué aux objets (Objecten) que ce que le sujet pensant tire de lui-même et, pour ce qui est du second point, par rapport

  1. C’est ainsi que les lois centrales des mouvements des corps célestes convertirent en certitude absolue la théorie que copernic n’avait admise tout d’abord que comme une hypothèse, et qu’elles prouvèrent en même temps la force invisible qui lie le système du monde (l’attraction de Newton) et qui n’aurait jamais été démontrée si Copernic n’avait pas osé rechercher, d’une manière contraire au témoignage des sens, mais pourtant vraie, l’explication des mouvements observés, non dans les objets du ciel, mais dans leur spectateur. Dans cette préface, je ne présente que comme une hypothèse le changement de méthode que j’expose dans la Critique et qui est analogue à cette hypothèse de Copernic. Ce changement sera toutefois établi dans le traité même par la nature de nos représentations de l’espace et du temps et par les concepts élémentaires de l’entendement ; il sera donc prouvé non plus hypothétiquement, mais bien apodictiquement. Je le présente ici comme hypothèse uniquement pour faire ressortir le caractère toujours hypothétique des premiers essais d’une réforme de ce genre.