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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR


étudiait toutes les œuvres importantes qui paraissaient de l’un et de l’autre côté du Rhin, où des étudiants allemands se rencontraient avec des étudiants français, où le futur conventionnel Grégoire eût pu discuter avec Goethe le Système de la nature. Avant la Révolution, Kant y était connu et ses travaux cités fréquemment. Dès 1773, Walther, dans une thèse à laquelle présidait Mûller, nommait, avec Bacon et son immortel ouvrage, avec Descartes qui tient le premier rang entre les restaurateurs de la philosophie, avec Locke et A. Smith, avec Berkeley et Hume, Kant et sa Dissertation sur la forme et les principes du monde sensible et du monde intelligible, qui contient déjà, comme on sait, quelques-unes des idées fondamentales de sa philosophie définitive et qui ne date que de 1770. La même année, dans un ouvrage de ce genre, Lulz, qui faisait de Bonnet un pompeux éloge, mentionnait une autre dissertation de Kant sur le seul fondement possible d’une démonstration de l’existence de Dieu. En 1775, la Dissertation inaugurale de Kant est encore citée, par Juncker, à côté des ouvrages de Bonnet, de Garve, de Maupertuis, de d’Holbach, de Hume et de Warburton. Il est naturel que les maîtres qui appelaient ainsi l’attention de leurs élèves sur des productions de Kant relativement peu importantes, aient étudié avec soin la Critique de la raison pure, la Critique de la raison pratique, qui parurent avant la Révolution et même la Critique du jugement, qui est de 1790. On sait d’ailleurs que c’est seulement vers 1786 ou 1787 que, grâce surtout à Reinhold, l’attention fut appelée en Allemagne sur la philosophie de Kant. De 1789 à 1794 se produisirent en France les prodigieux événements qui firent une impression si profonde sur les penseurs de tous les pays 1[1], qui amenèrent Kant lui-même à déroger à des habitudes devenues pour lui une seconde nature 2[2], occupèrent entièrement ceux qui auraient pu s’intéresser aux doctrines nouvelles et qui auraient justement dit de l’époque tout entière ce que Sieyès disait de la Terreur.

  1. 1 Voyez le Mémoire de H. Carnot, lu à l’Institut pur M. Jules Simon.
  2. 2 Voyez la note 12, à la fin de ce volume.