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iv
AVANT-PROPOS DE LA SECONDE ÉDITION

Dans la période qu’ouvre la publication de la Critique de la Raison pure, Kant admet une conciliation entre le mysticisme qu’il n’aime guère pourtant, et la pureté de la loi morale, mais il condamue le scepticisme, le doute, l’empirisme, qui est superficiel et extirpe jusqu’à la racine la moralité dans les intentions, le matérialisme et le fatalisme, l’idéalisme et le spinozisme, l’incrédulité des esprits forts et l’athéisme ( p. 28, 92, 125, 182, 305 ). Il n’y a guère, de ce fait, de philosophe ou d’encyclopédiste, avec lequel il ne se mette en opposition.

Il y a plus. La plupart des philosophes dont nous avons parlé sont des adversaires du catholicisme et s’essaient même, en dehors du christianisme, à expliquer l’universel l’homme, par un système scientifique et philosophique d’où ils tirent une règle de conduite pour la société et les individus[1]. Kant reste dans la période théologique ; c’est un chrétien, un luthérien, un piétiste[2]. Ses maîtres, Schulzet Knutzen (n. 17, p. 320), unissent leur piétisme aux études philologiques, historiques, scientifiques et philosophiques qui se font « en présence de Dieu, partout présent ». S’écartant de l'orthodoxie luthérienne, devenue une scolastique nouvelle, ils tiennent grand compte de la parole de Dieu, de la pureté du cœur, de la pénitence, de l’effort personnel, de la lutte douloureuse pour saisir la grâce et ils inclinent, comme les jansénistes, vers un ascétisme auquel rien ne semble indifférent. Dans ses dernières années, Kant revient aux idées de sa jeunesse : il cite la Bible, développe la preuve de l’existence de Dieu par les causes finales, aime à entendre répéter le sens hébreu — Dieu avec nous — de son prénom Immanuel. Aussi Müller, après Reinhold, insiste sur l’appui que le kantisme fournit à la morale et à la religion (p. iii). D’autres trouvent que Kant est venu achever l’œuvre du Christ, manifester en esprit le Dieu que le Christ avait manifesté en chair! (p. iv). Et de nos jours, Benno Erdmann aperçoit, dans la personnalité morale de Kant, la forte empreinte de ses maîtres piétistes; le docteur Arnoldt estime que le kantisme est le plus solide rempart de la vie religieuse contre les attaques de l’incrédulité philosophique et scientifique (p. 300).

Dans la Religion, Kant affirme (p. viii) des idées chrétiennes, le

  1. On a essayé de montrer dans les Idéologues (Paris, Alcan) comment ce mouvement s’est accentué, du xviie, au xviiie et au xixe siècle.
  2. Voir dans Entre Camarades, Paris, Alcan : Le Moyen Age, Caractéristique théologique et philosophico-scientifique. Limites chronologiques. — Sur le Piétisme, cf. A. Ritschl, Geschichte der Pietismus, 3 vol., Bonn, 1880-86.