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AVANT-PROPOS DE LA SECONDE ÉDITION


en voir l’originalité, qu’il s’agit non de contester, mais d’expliquer dans la mesure où s’explique la production d’une œuvre de génie, artistique ou scientifique, littéraire ou philosophique.

Kant nous apparaît comme un contemporain de Hume, de Voltaire, de Rousseau, des encyclopédistes et des philosophes, comme une des gloires du siècle des lumières (Aufklärung), de la période où la raison prend une part si grande au gouvernement des esprits.

En fait, Kant donne beaucoup à la raison. L’essentiel de son œuvre est dans les Critiques de la raison pure et de la raison pratique. C’est pour défendre les droits de la raison pure, combattus par Hume, qu’il a écrit la première (p. 86). C’est « dans les limites de la raison » qu’il considère la religion. Non seulement la raison pure, pratique par elle seule, donne (p. 52) une loi universelle à tous les êtres finis, doués de raison et de volonté, et même à l’être infini, à la suprême intelligence ; mais en tant qu’elle détermine par elle-même la volonté, elle est une faculté supérieure de désirer, à laquelle est subordonnée celle qui peut être pathologiquement déterminée (p. 38). Par suite Kant, demandant aux principes à priori des facultés de désirer et de connaître, le fondement inébranlable d’une philosophie systématique, théorique et pratique, aussi bien que de la science (p. 16), se prononce énergiquement contre le sentiment (n. 11, p. 311), dont la raison se trouve ainsi occuper la place ! Comme la plupart de ses contemporains, il condamne le fanatisme, religieux ou moral (p. 151), le paradis de Mahomet ou l’union dissolvante avec la divinité des théosophes et des mystiques (p. 220), enfin la superstition (p. 305).

De même Kant subit, au point de vue spéculatif et pratique, l’influence de Hume (n. 7, p. 310). Ainsi, il accorde une valeur incontestable aux jugements moraux du vulgaire, sur lesquels il s’appuie à l’origine; il admet que l’entendement ou la vue la plus ordinaire, s’agit-il même d’un enfant de dix ans, révèlent toujours ce qu’il convient de faire d’après la loi morale (n. 14, p. 315). La « voix céleste et si claire », la « raison incorruptible » rappellent le lecteur de Hume, de Shaftesbury et de Hutcheson, comme de Rousseau et de Voltaire.

De Voltaire, dont il se croit encore tenu, en 1788, de respecter les talents et d’imiter, en une certaine mesure, l’exemple (p. 140), Kant se rapproche, comme l’a bien vu Lange (n. 15, p. 316), par les questions auxquelles il ramène ses recherches, que puis-je savoir, que dois-je faire, qu’ai-je à espérer ? , par ses doctrines sur l’âme et Dieu. Après s’être éloigné de Voltaire, dont les idées lui