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quelque chose à de nombreuses et concordantes attestations, malgré les réclamations de l’entendement, elle semble être un reste de l’antique simplicité, qui cadre mal assurément avec l’état présent des esprits, et qui tourne souvent par le fait à la folie, mais qui ne doit cependant pas être regardée, pour cette raison, comme un héritage naturel de bêtise. Je laisse donc au bon plaisir du lecteur le soin de démêler, dans le récit merveilleux que je rapporte, les éléments de raison et de crédulité qui peuvent en former le mélange équivoque, et d’estimer Ja proportion des deux ingrédients, suivant ma manière de voir. Car, comme il ne s’agit dans une pareille critique que de convenance, je crois être suffisamment prémuni contre la raillerie, par le fait qu’avec cette folie, si l’on veut l’appeler ainsi, je me trouve néanmoins en très bonne et nombreuse société ; ce qui suffit déjà, suivant Fontenelle, pour ne pas du moins passer pour insensé. En effet, il est toujours arrivé et il arrivera toujours que certaines choses qui répugnent au bon sens trouvent accès auprès même des personnes raisonnables, par le fait seul qu’on en parle généralement. Tels sont la sympathie, la baguette divinatoire, les pressentiments, l’effet de l’imagination des femmes enceintes, l’influence des phases de la lune sur les animaux et les plantes, etc. N’y a-t-il pas longtemps même que le peuple des campagnes a rendu aux savants les railleries dont ils poursuivent ordinairement sa crédulité ? Car, s’il faut en croire un bruit très répandu, des enfants, des femmes auraient persuadé à bon nombre d’hommes habiles de prendre un loup commun pour une hyène, quoique toute personne un peu instruite sache aujourd’hui qu’il n’y a dans les forêts de France aucune bête féroce de l’Afrique. La faiblesse de l’intelligence humaine, jointe au désir passionné de savoir, fait qu’on s’attache d’abord sans distinction à la vérité et au mensonge. Mais peu à peu les idées se purifient ; une partie reste, le surplus est jeté aux impuretés.

Celui-là donc qui croira trouver assez d’importance à ces contes de revenants, pourra toujours, s’il a suffisamment de