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comme homme par rapport au monde. Je m’en tiendrais donc à l’expérience commune, et je dirais provisoirement : Je suis où je sens. Je ne suis pas moins immédiatement au bout des doigts que dans la tête. Je suis le même qui souffre aux talons et en qui le cœur bat dans une émotion. Ce n’est pas dans le nerf cérébral que j’éprouve l’impression d’une très vive douleur quand je souffre de la goutte, c’est au bout des orteils. Aucune expérience ne m’apprend que quelques parties de ma sensation soient loin de moi, et à renfermer mon moi indivisible dans un coin microscopique du cerveau, d’où il mettrait en jeu le vêtement de ma machine corporelle, ou en serait touché par là. Il me faudrait donc une preuve rigoureuse pour trouver absurde ce que disaient les scolastiques : Mon âme est tout entière dans mon corps et tout entière dans chacune des parties du corps. La saine intelligence remarque souvent la vérité avant de voir les raisons qui peuvent servir à la prouver ou à l’expliquer. Je ne serais nullement troublé par l’objection qui consisterait à dire que, de cette manière, je conçois l’âme étendue et répandue par tout le corps, à peu près comme elle est représentée aux enfants dans le monde figuré ; car je ferais justice de cette difficulté en disant que j’ai remarqué que la présence immédiate dans tout un espace prouve seulement une sphère de l’action extérieure, mais non une multiplicité de parties intérieures, et par conséquent qu’une étendue ou une figure n’ont lieu qu’autant qu’un espace est conçu dans un être conçu par soi seul, c’est-à-dire qu’autant que des parties, qui sont en dehors les unes des autres, s’y rencontrent. Enfin, ou je saurais ce peu de chose de la nature spirituelle de mon âme, ou, si on me le contestait, je serais encore satisfait de n’en rien savoir du tout.

Si l’on reprochait à ces pensées d’être inintelligibles, ce qui équivaut aux yeux du plus grand nombre à l’impossible, je laisserais faire également. Je me mettrais aux pieds de ces sages pour les entendre parler. L’âme de l’homme a son siège dans le cerveau ; elle y a son siège en une place impercepti-