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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.


ne devrait pas plus être appelée étendue, que ne le sont les unités de la matière ; car il n’y a d’étendu que ce qui, séparé du tout et existant par soi seul, occupe un espace. Or, les substances qui sont des éléments de la matière n’occupent un espace que par l’action extérieure sur d’autres [éléments de même nature] ; mais par elles-mêmes en particulier, lorsqu’on ne conçoit pas d’autres choses en union avec elles, et qu’en elles ne se trouve rien non plus d’extérieur, elles ne contiennent aucun espace. C’est vrai des éléments corporels. Ce devrait être vrai encore des natures spirituelles. Les limites de l’étendue déterminent la figure. Ces éléments, ces natures n’auraient donc aucune figure concevable. Ce sont là des raisons de la possibilité présumée des substances immatérielles dans le monde, difficiles à reconnaître. Celui qui est en possession de moyens plus faciles d’arriver à cette connaissance, ne refusera pas de l’enseigner à un curieux dont l’étude progressive aboutit souvent à lui faire voir des Alpes où d’autres ont devant eux une route unie et commode, sur laquelle ils avancent ou croient avancer.

A supposer donc qu’on ait démontré que l’âme de l’homme est un esprit (quoique, d’après ce qui précède, on voie qu’une pareille preuve n’ait jamais été donnée), la question qui s’offrirait immédiatement serait à peu près celle-ci : Dans quelle partie du corps réside cette âme humaine ? Je répondrais : Ce corps, dont les changements sont mes changements, ce corps, dis-je, est mon corps, et son lieu est en même temps mon lieu. Et si l’on demandait en outre : Où est donc ton lieu (de l’âme) dans ce corps ? je soupçonnerais quelque chose de captieux dans cette question. Car on voit sans peine qu’il y a déjà là quelque chose de supposé qui n’est pas connu par expérience, mais qui tient peut-être à de faux raisonnements : à savoir que mon moi pensant est dans un lieu qui serait distinct des lieux occupés par d’autres parties de ce corps qui est le mien. Or, personne n’a une conscience immédiate d’un lieu particulier dans son corps ; on n’a conscience que du lieu qu’on occupe