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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.

Prenez comme un espace d’un pied cube, et supposez qu’il y ait quelque chose qui remplisse cet espace, c’est-à-dire qui s’oppose à l’introduction de toute autre chose, personne n’appellera spirituel ce qui est ainsi dans cet espace. On l’appellerait évidemment matériel, parce qu’il est étendu, impénétrable, et, comme tout ce qui est corporel, soumis à la divisibilité et aux lois du choc. Jusqu’ici nous sommes encore dans la voie frayée des autres philosophes. Mais si vous concevez un être simple et que vous lui accordiez en même temps de la raison, la signification du mot esprit sera-t-elle, par ce moyen, précisément expliquée ? Pour m’en assurer, je ferai de la raison une propriété interne de l’être simple en question, mais je ne l’envisagerai, pour le moment, que dans ses rapports externes. Or, je demande à présent si, voulant placer cette substance simple dans cet espace d’un pied cube, rempli de matière, un élément simple de cette matière devra quitter la place afin que cet esprit puisse l’occuper ? Si vous dites oui, alors l’espace conçu devra perdre une seconde particule élémentaire pour recevoir un deuxième esprit, et il arrivera, si l’on continue, qu’un pied cubique d’espace sera rempli d’esprits, dont la masse résiste aussi bien par impénétrabilité que s’il était plein de matière, et qui, ainsi que la matière, doit être soumise aux lois du choc. Mais de pareilles substances, fussent-elles douées de raison, ne se distingueraient cependant pas du tout, extérieurement, des éléments de la matière, dans lesquels on ne reconnaît encore