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hommes, à des degrés entièrement divers sur la sensation. Il y a donc une espèce de fantasterie qui peut être attribuée à chacun, par la raison que le degré de sentiment déterminé par certains objets est estimé de l’extravagance pour la modération d’une tête saine. A ce compte, le mélancolique est un fantaste par rapport au mal de la vie. L’amour a une infinité de transports fantastiques, et l’habileté suprême des anciennes républiques consistait à faire des citoyens des fantastes en fait de sentiment du bien public. Celui qui est animé par un sentiment moral comme par un principe plus que d’autres ne peuvent le concevoir avec leur sens énervé et souvent ignoble, est à leurs yeux un fantaste. Qu’on se figure Aristide dans une société d’usuriers, Épictète au milieu de gens de cour, et Jean-Jacques Rousseau parmi des docteurs de Sorbonne ! Cent voix, accompagnées d’éclats de rire, répéteront à l’envi : Quels fantastes ! Cette apparence équivoque de fantasterie dans des sentiments moralement bons en eux-mêmes est l’enthousiasme, sans lequel rien de grand ne s’est jamais fait dans le monde. Il en est tout autrement du fanatique (visionnaire, exalté). Celui-ci est proprement un délirant dont la manie est de croire à une prétendue inspiration immédiate, et à une grande familiarité avec les puissances célestes. La nature humaine ne connaît aucune illusion plus périlleuse. Si la manifestation en est nouvelle, si l’homme déçu a du talent, et que le grand nombre soit disposé à prendre à l’intérieur ce ferment, alors l’État lui-même éprouve parfois des convulsions. Le fanatisme porte l’inspiré à l’extrême, Mahomet sur le trône, Jean de Leyde à l’échafaud. Je puis compter encore, dans une certaine mesure, la perversion de la mémoire au nombre des désordres de l’esprit. Car cette faculté trompe le malheureux qui en est tourmenté, par une représentation chimérique dont on ne sait quel état passé, qui n’a jamais été réel. Celui qui parle des biens qu’il croit avoir possédés, ou d’un royaume qu’il a perdu, et qui du reste ne s’aperçoit pas de son erreur par rapport à son état présent, délire par rapport au souvenir. Le vieillard plaintif qui croit