Page:Kant - Anthropologie.djvu/367

Cette page n’a pas encore été corrigée

seul instant à se déclarer pour la dernière. Ce qui a été imaginé sans doute par cette raison qu’en général tout ce qui tient de l’art ne peut se passer d’une certaine finesse, et que la droiture ne peut être, en pareil cas, qu’un obstacle. Je vis au milieu de citoyens sages et honnêtes, qui s’entendent à paraître tels, et je me flatte qu’on voudra bien m’accorder assez de cette délicatesse pour croire que si j’étais en possession d’un spécifique pour guérir radicalement des maladies de la tête et du cœur, j’hésiterais cependant à mettre sur le marché cette vieillerie ; je serais bien sûr que le traitement préféré pour l’intelligence et le cœur est aussi avancé qu’on peut le désirer, et que les médecins de l’intelligence, qu’on appelle logiciens, se prêtent fort bien au goût général depuis qu’ils ont fait l’importante découverte que la tête humaine est proprement un tambour qui ne résonne que parce qu’il est vide. Je ne vois donc rien de mieux à faire pour moi que de suivre la méthode des médecins qui croient avoir rendu un grand service à leur patient quand ils ont donné un nom à sa maladie. J’esquisserai donc une petite onomastique des vices de l’entendement, depuis sa paralysie dans l’imbécillité jusqu’à ses convulsions dans la fureur. Mais pour reconnaître ces rebutantes maladies dans leur dérivation successive, je crois nécessaire d’en expliquer à l’avance les degrés moins marqués, depuis la bêtise jusqu’à l’extravagance, parce que ces états sont courants dans la vie civile, et que cependant ils conduisent aux premiers.

L’intelligence obtuse manque d’esprit ; la stupide, d’entendement. La promptitude à saisir et à se rappeler quelque chose, comme la facilité à s’exprimer passablement, conviennent très bien à l’esprit. Aussi celui qui n’est pas stupide peut-il être très bouché, en ce que quelque chose lui vient difficilement à l’esprit, quoique ensuite il puisse voir avec une grande maturité de jugement. La difficulté de s’exprimer ne prouve pas un défaut d’intelligence, elle montre seulement que l’esprit ne prête pas l’assistance nécessaire pour revêtir la pensée de tous les signes dont quelques-uns conviennent tout particulièrement.