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qu’il avait été accompagné jusque-là, sans compter un petit garçon de huit ans, d’un troupeau de quatorze vaches, de vingt moutons et de quarante-six chèvres, il reçut ici, de la foule des badauds, le nom de prophète aux chèvres. Outre l’ornement d’une longue barbe, il se montrait vêtu d’une peau de bête velue, qui enveloppait son corps nu. Il avait, en toute saison, la tête découverte et les pieds sans chaussures. Le petit garçon n’était pas tenu autrement. Une couple de vaches lui servait de camarades ; tous les deux vivaient du lait des brebis, auquel ils ajoutaient parfois du beurre et du miel. Les grandes fêtes, il se permettait la viande de son troupeau, cuite au miel. Il ne préparait ainsi que l’épaule droite et la poitrine ; il donnait tout le reste ou le réduisait en cendres au bout de trois jours. La cause de la transformation de cette forme humaine remontait à sept ans ; c’était une maladie dont le principe connu consistait dans une indigestion et des crampes d’estomac. Après un jeûne de vingt jours, le malade prétendit avoir vu plusieurs fois Jésus. Il lui avait fait vœu de vivre sept ans dans les bois. Il lui restait encore deux ans à passer ainsi. Lorsqu’on le trouva dans la forêt d’Alexen, il avait déjà perdu la plus grande partie de son troupeau. Il vint donc avec son garçon, une bible à la main, dont il citait, à quiconque lui faisait une question, une sentence qui cadrait quelquefois, mais qui souvent aussi n’avait pas d’à-propos. Chacun s’approchait et considérait l’aventurier et l’enfant. Kant lui-même, qui avait été prié par un grand nombre d’en dire son avis, alla le voir, et fit à ce sujet le raisonnement connu que voici :

A voir et à entendre le Faune inspiré et son garçon, on croirait voir, quand on épie volontiers la nature grossière qui est généralement très méconnaissable sous le joug des hommes, quelque chose de très remarquable : c’est le petit sauvage, qui a grandi dans les bois, qui a appris à braver toutes les intempéries des saisons avec une résolution joyeuse, qui montre sur sa figure une candeur peu commune, et qui n’a rien en soi de l’embarras timide qui est l’effet de la servitude ou de l’atten