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DE L'INTELLIGENCE

il n’empêche pas de rendre hommage à la pureté du cœur et à la sincérité ; c’est plutôt une hilarité accompagnée de bienveillance et de douceur, et provoquée par l’inexpérience dans l’art peu estimable de paraître, art qui, bien que fondé sur notre nature humaine déjà corrompue, mériterait plutôt la pitié que la moquerie, si l’on venait à le comparer avec l’idéal d’une nature encore saine et pure[1]. C’est une satisfaction d’un clin d’œil ; c’est un ciel nuageux qui s’entr’ouvre un instant pour laisser échapper un faible rayon de soleil, mais qui se referme aussitôt par ménagement pour l’œil malade de l’amour-propre.

Ce paragraphe, qui a pour objet d’avertir de ne pas s’observer trop minutieusement et pour ainsi dire avec la résolution prise de faire une histoire intérieure du cours spontané de ses pensées et de ses sentiments, est motivé par le péril que l’on court en s’observant ainsi, de tomber dans la folle persuasion qu’on est inspiré d’en haut, qu’on subit l’influence de forces secrètes qui nous mènent sans intervention de notre part ; en d’autres termes, dans le péril de devenir illuminé ou en proie à une terreur sans fondement. En effet, nos prétendues découvertes successives n’ont ici d’autre objet que ce que nous avons insensiblement introduit nous-mêmes au dedans de nous : c’est le cas d’une Bourignon avec ses visions flatteuses, ou d’un Pascal

  1. À propos de cette nature, on pourrait ainsi parodier le vers connu de Perse : Naturam videant ingemiscantque relicta.