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mais quelque mauvaise qu’elle soit, la maxime de la raison, en faveur du juste désir du droit, dont le désir de la vengeance est l’analogue, est mêlée à l’inclination, et devient par là même une des passions les plus ardentes et les plus profondément enracinées, qui, lorsqu’elle semble éteinte, laisse cependant subsister une haine secrète, appelée rancune, comme un feu qui couve sous la cendre.

Le désir de vivre en société avec ses semblables et d’être en rapport avec eux, état où chacun obtient ce que le droit lui accorde, n’est assurément pas une passion ; c’est un principe de détermination pour le libre arbitre par la raison pratique pure. Si ce désir est excité par le seul amour-propre, c’est-à-dire dans la vue exclusive d’un avantage personnel, et non au profit d’une législation utile à tous, c’est alors un mobile sensible de la haine non de l’injustice, mais de l’injuste contre nous. Et cette inclination (à poursuivre et à détruire), au fond de laquelle se trouve une idée, mais appliquée d’une manière égoïste, convertit le désir du droit à l’égard de l’offenseur en passion de représailles, qui devient souvent une hallucination, capable d’exposer les jours de celui qui s’y livre, pour peu que son ennemi s’en garantisse, et même de rendre (par la vengeance du sang) cette haine héréditaire entre des nations, parce que, comme on dit, le sang de l’offensé, tant qu’il n’est pas vengé, crie jusqu’à ce que ce sang injustement versé soit lavé par un autre sang, — dût ce dernier être celui d’un des descendants innocents du coupable.