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DE L'EGOÏSME

vilége de parler en nom personnel ; car s’il n’y avait pas accord absolu entre le jugement du géomètre et le jugement de tous ceux qui se sont occupés sérieusement et avec talent des mêmes matières, elles n’auraient pas la certitude de n’être point tombées dans quelque erreur. — Il y a beaucoup de cas encore où nous n’osons pas même nous en rapporter d’une manière absolue aux jugements de nos propres sens : nous doutons, par exemple, si le son d’une cloche a réellement frappé nos oreilles, ou si ce n’est pas une pure illusion ; nous demandons alors aux autres s’ils sont affectés comme nous. En philosophie, quoiqu’il ne soit pas nécessaire, comme on le fait en jurisprudence, de fonder ses jugements sur ceux d’autrui, toutefois un écrivain qui ne trouve aucune adhésion à des opinions publiquement émises, si elles sont d’ailleurs de quelque importance, est vraisemblablement tombé dans l’erreur.

On court donc une véritable chance en lançant dans le public une assertion contraire à l’opinion générale, à celle même des personnes éclairées. Cette apparence d’égoïsme s’appelle paradoxe.

Il n’y a pas témérité à hasarder quelque chose avec la chance qu’il soit trouvé faux par un petit nombre, mais bien avec la chance qu’il trouve peu de crédit. — L’amour du paradoxe est, à la vérité, un sentiment logique personnel, ennemi de l’imitation, ami de la distinction, et qui ne conduit souvent qu’à la singularité. Comme chacun cependant doit avoir son sens propre et le faire reconnaître (si omnes patres sic, at