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forcés de sortir du présent, incertains de l’état dans lequel nous entrerons, mais certains cependant que ce sera un autre état ; ce qui peut seul être la cause d’un sentiment agréable.

La jouissance est le sentiment du mouvement facile et progressif de la vie ; la douleur, celui d’un obstacle à la vie. Or la vie (de l’animal), comme l’ont déjà remarqué les médecins, est un jeu continuel de plaisir et de peine.

La douleur doit donc précéder toute jouissance ; elle est toujours la première. Quelle serait, en effet, la conséquence du jeu facile et rapide de la force vitale, laquelle ne peut cependant dépasser un certain degré, sinon une prompte mort de joie ? Une jouissance ne peut non plus succéder immédiatement à une autre jouissance ; la douleur doit trouver place entre l’une et l’autre. Ce sont de faibles obstacles à la force vitale, entremêlés de mouvements contraires, qui constituent l’état de santé que nous regardons mal à propos comme un état continuel de bien-être bien senti. Je dis mal à propos, puisque cet état ne se compose réellement que d’une succession de sentiments agréables, toujours interrompus par quelque douleur. La douleur est l’aiguillon de l’activité ; et c’est surtout dans l’activité que nous avons conscience de la vie ; sans la douleur il y aurait donc extinction de la vie.

Les douleurs qui passent lentement (comme la transition insensible de la maladie à la santé, ou le recouvrement lent d’un capital perdu), n’ont pas pour con-